Bon. Bonbonbonbon. Il est temps de tirer un bilan de ma course aux Canaries, la TransGranCanaria Classic 2024. Et disons-le d’emblée, ce fut une catastrophe industrielle. Mon premier abandon en course, après seulement 4h de trail, 25km et 1100m de dénivelé ! Moi qui étais physiquement préparé comme jamais, qui comptais sur mon mental, qui avais déjà passé les 100 km… Que s’est-il passé ? A vrai dire, je ne pense pas avoir une réponse unique, plutôt un faisceau d’indices. Mais une affirmation qui me taraudait depuis longtemps : quand il faut bâcher, là aussi on peut le faire avec une indiscutable certitude.
L’avant course : une gestion compliquée…
On en a déjà discuté, outre la préparation il y a les quelques jours qui précèdent la course, un relâchement contrôlé que lequel reposent beaucoup de nos chances de terminer. Pour ce voyage aux Canaries, je suis arrivé le dimanche précédent le départ, qui avait lieu dans la nuit du vendredi 23 au samedi 24 février, avec son fameux coup de starter à minuit. En soi, c’était sur le papier une super décision, surtout qu’avec des vacances en familles, je sais ne pas en faire trop. Mais ce n’est pas sans à-côtés.
Gran Canaria est traîtresse. Du dimanche au jeudi, on a eu des conditions qui flirtaient avec celles d’un mois d’août. 25 degrés à l’ombre, une petite brise, short-t-shirt et crème solaire à 1800m d’altitude, pas un nuage ou presque. Et puis le jour de la course, c’était presque un retour au béarn. Vent fort en rafales, pluie, terrain glissant. C’est comme si j’avais pris 5 jours de vacances à Tahiti avant de revenir faire un trail en montagne chez nous. Acclimatation, zéro.
Mon gamin est tombé malade. Evidemment, ce n’est pas spécialement sa faute, mais à 48h de la course il avait la fièvre du samedi soir et nous réveillait en toussant la nuit. Pas top.
Le sommeil, ça allait… Jusqu’au jour de la course. Réveillé à 8h, ça l’aurait bien fait avec une grande sieste d’ans l’après-midi, mais j’ai juste passé du temps couché à l’horizontale.
Sur GranCanaria, l’eau courante n’est pas potable. Résultat, on biberonne de l’eau minérale en bouteille H24, ce que tous les organismes n’acceptent pas aussi bien. En plus, il n’y a pas de St Yorre. Et pour la bouffe, c’est pareil, avant la course tout repas au restau paraît trop gras/sucré, mais tout repas dans une mini-kitchenette sans four est un peu misérable. Sans oublier que vous êtes à l’étranger. Ici le fruit local c’est la banane et les fraises, les tomates sont bien rouges et rien de ce que vous avez mangé pendant les 3 mois de prépa n’est disponible, à part des pâtes (à cuire à l’eau minérale). Ma femme et moi avions de petites crampes d’estomac.
Enfin, un stress profond s’est invité. Parce que tout sur l’île tourne autour de la course cette semaine là. Les publicités, les locaux, les bus, les sites touristiques (ils sont déjà balisés). Et naturellement, nos petites visites aussi, même plusieurs jours avant d’aller retirer le dossard, dévaliser la boutique et voir l’arrivée des premiers du format Marathon (c’était super bien).
Vous allez me dire, tout ça n’est pas dramatique, et vous aurez raison. Ce n’est pas ça qui m’a fait rater la course. Mais ça n’a pas non plus aidé à arriver sur la plage pour le départ dans les meilleures conditions, et ça c’est dommage.
La course
Je ne reviendrai pas sur l’organisation, sachez juste qu’ils font ça depuis 21 ans et que c’est franchement du solide sur tous les points. Pas de vérification des sacs, mais j’avais de toutes façons un matériel conséquent et tout le nécessaire, voire plus. On a été parqués environ 20 minutes avant le départ, c’est un peu long mais c’est passé vite. 3 minutes avant le top, ils nous ont passé leur “discours de la peur” qui est bien cool, avant l’hymne et la fiesta du passage sous l’arche pour une première partie sur le sable. Un petit clin d’oeil météo, il faisait bon et 17° en ville, mais une minute avant le go, on a pris des gouttes. Comme un avant goût.
Je démarre même la course sur un exploit, j’ai réussi à ne pas me griller sur ces 650m qui sont particulièrement usants quand même, en allant doucement. Certains ont joué avec le feu et se sont mouillés les pieds en courant le long de la ligne d’eau… Quand une belle vague a décidé d’être plus jouasse que les autres. Passons. La partie en ville dure 4km, c’est plat, j’ai un kilomètre à 5’35 mais bon c’était franchement parce que je me sentais bien. On n’allume même pas les frontales. Et puis, au passage de l’opéra, une première rafale dans le dos vient nous rappeler qu’il ne va pas faire trop beau. Mais je suis chaud, je n’ai pas envie de transpirer dans autre chose, et je cherche plutôt (comme 250 autres types) un endroit où faire mon premier pipi.
La première montée est sur une piste et elle est douce, même si c’est quand même plus de 300d+. On rentre dans un rythme et une fois en haut, on passe la première heure de course. 8,5 km en tout, et je me sentais très bien. Surtout qu’en plus on enquillait sur une descente (courte). Mais là encore, le vent nous souffle dans le dos, sur le côté, et on prend de temps en temps une petite rafale de gouttes. Je bois beaucoup, parce que tout ce vent, ça donne la bouche sèche. Et puis on arrive au premier ravito, liquide, à Tenoya (km 11,5) après un vrai petit raidard sur une route bétonnée (mais 15% quand même). J’ai mangé une barre salée que j’avais sur moi, et encore bu, cette fois de l’eau plate avant de repartir. 1h20, je suis avec 10 minutes d’avance sur mes estimations, c’est une fenêtre raisonnable. Je n’ai pas tartiné plus que ça.
On entame alors une petite descente puis 4km de barranco, ce fameux fond de rivière séchée avec ses gros galets chiants et parfois glissants. Clairement on n’est plus très près de la côte. Ca sent les animaux de la ferme, il y a un petit vent, c’est aussi technique que ce que j’imaginais même s’il suffit de lever les pieds, en soi on a pas trop pris de dénivelé là-dedans (on approche des 450md+ doucement), c‘est juste compliqué d’avancer vite… Mais je n’essaie pas. A la fin de ces 4 km je ressens une fois de plus le vent et de la pluie. Je n’y fais pas attention, mais je me dis que j’ai les bras de mon haut manche longue trempés et que ça ne sèche pas. Dans mon esprit, il reste 3,5km avant le ravito suivant, je me changerai là-bas. Il y a quand même plusieurs petits passages bien piégeux à la fin de cette section, on y avance dans les hautes herbes qui cachent à gauche ET à droite des cactus, et au milieu des galets de la taille d’une chaussure. Pas le moment de s’étaler…
Et au kilomètre 16, voilà le premier pétard. Sans l’avoir négligé (je savais qu’il était là, on a révisé le plan de course ensemble, vous vous souvenez ?), c’est quand même un bon gros mur sur 300d+ qui laisse à peine respirer et… Qui démoralise le mec, moi, qui se fait dépasser à de nombreuses reprises. Surtout que là, je commence à me dire qu’il y a un problème, et c’est pas parce qu’on me dépasse. C’est une sensation, de savoir que même en montant comme ça, j’ai l’impression de me trainer un sac de pierres de 30 kg. De mal respirer. Et de perdre beaucoup d’énergie. Alors que bon, sur le papier comme en vrai, même si ça monte avec de gros pourcentages, plusieurs passages au-delà de 20 ou 25% je pense, ça n’est pas si long. Je temporise. Je marche sur une petite crète de plat. Ca va revenir. Et puis il y a encore une petite bosse avant de descendre en ville pour le ravito. Sauf qu’elle était encore plus raide, et qu’en haut, ça allait encore moins bien. 19 km, 710 d+, et je commence à me dire que quelque chose cloche sérieusement. Mais bon, la descente se passe bien, j’arrive au ravito en 2h39, je suis encore dans les temps que je voulais.
Pour la montre, on est donc sur un début de course “normal”, pourtant ne vous laissez pas abuser, moi je n’allais déjà plus bien du tout. En particulier, l’objectif était de remettre le cap vers des sensations normales. J’ai enfin compris que j’avais froid, donc je change de haut pour un gros pull et mon petit imper (le gros est encore dans le sac), et j’arrête enfin de trembler. Je me connais, je dois être blanc comme un linge. Mais maintenant, il ne s’agit pas que d’être sec, mais de pouvoir relancer la machine. Alors ben… Je mange. Une purée, un petit biscuit. Du pepsi pour les sucres rapides. J’espère me relancer avec mes batons. J’ai le bide serré. Peut-être que j’ai trop bu ?
Malgré tout en sortant de la salle, je sais que c’est déjà un peu quitte ou double. Je me suis assis, j’ai pris 15 minutes pour ressortir du gymnase reposé. C’est plus que ce que je voulais, mais je suis encore dans mes temps, donc pas de stress à ce niveau là… Officiellement. Dans ma tête c’est la panique : “il faut aller mieux”, en boucle. Oui, parce que je sais bien ce qui vient. A commencer par 3 km de montée : un moyen, un dur, un moyen. Mais dès les premières centaines de mètres, je ne peux que constater : j’ai plus chaud, mais l’énergie n’est pas revenue. Les jambes comme des jambons de bayonne, la transpiration en plus.
Marchons, alors. J’ai du temps en réserve (45 minutes), je voulais l’utiliser plus tard dans la course, mais je comprends dès ce kilomètre 20 ou 21 que c’est en train de tourner au vinaigre. C’est déjà le moment pour les réserves, et si on peut aller plus loin eh bien tant mieux, on gèrera quand on y sera. Malgré tout, même en marchant, on ne peut pas dire que je me sens bien. J’ai zéro sensation, zéro énergie. Les bâtons n’aident pas et j’ai vite le souffle court alors qu’on ne monte pas encore fort. Boire n’y change rien, et pour la première fois je comprends après ce premier kilomètre de montée, que mes tremblotements du ravito n’étaient pas qu’un avertissement “froid”. Doucement mais surement, je comprends que j’ai le bide en vrac. Vraiment, en vrac. Et on entame le 2è km de montée, qui est à nouveau un mur. Pas long, en réalité. Mais quand vous avez mal partout, au bide, au mental, aux jambes et au bide, qu’il faut s’arrêter régulièrement et que vous avez compris que c’est “bientôt fichu”, c’est pas terrible.
On est pas encore en haut que j’ai accepté l’inévitable, je vais vomir. Mais ça n’est pas non plus immédiat, ou sur commande. Je me traine comme un zombie à 20-25 minutes du kilomètre, c’est lamentable. On me dépasse en masse, et si je ferme les yeux, je vois des étoiles. La délivrance arrive enfin, et je suis content car… C’est une fois de plus quitte ou double. Après avoir vomi, on va mieux. Un peu. Plus de mal de bide. Mais c’est un moment critique. Soit on peut reprendre “comme si de rien n’était” un peu plus doucement en mangeant quelques bouchées parcimonieuses, soit c’est la fin des haricots.

Je suis dans le 3è km de montée, et autour de moi, la plupart des coureurs trottinent. Il n’y a plus grand monde qui me dépasse, et ce n’est pas une bonne nouvelle : je ne vais pas beaucoup plus vite, donc il n’y a plus grand monde pour me dépasser... C’est la fin du peloton. A vrai dire moi, ça va un peu mieux. Pendant un petit kilomètre, j’y crois à moitié. Car le mental, lui, est très entamé. On est au 24è km, il en reste 102, physiquement je me sens comme si j’avais consommé 80% de mes forces et l’unique bouchée de pâte de fruits a du mal a trouver le chemin de la descente. Je rentre sur une partie goudronnée, et il faudrait la courir. 1,6 km de plat et descente. Ma montre m’indique que ma descente aux enfers dure déjà depuis plus d’une heure depuis que j’ai quitté le ravito. 65 minutes pour 3 bornes. Et… Je n’arrive pas à courir. J’essaie, hein. Mais pas moyen.
C’est là, sur le goudron mouillé et souillé d’une fine couche de boue déposée par des centaines de coureurs, que j’ai accepté en silence que c’était complètement fichu. Que j’ai baissé les bras malgré une jolie petite descente que, cette fois c’est sûr, j’aurais pu courir. Dans mon état, 100 km… A quoi bon ? Tout ça commençait à prendre une tournure franchement moche. Je n’avais toujours aucune énergie et malheureusement pas la lucidité pour mettre rapidement mon surpantalon, une autre couche chaude, changer de buff, et manger une bouchée. Je voyais les frontales monter le Mont Osorio devant moi, ses 450m de dénivelé supplémentaires avant 4 km de descente sur le village de Teror. Il était 4h10, je n’avais plus que 2h pour rallier le ravito, et il pleuvait.
[note qu’en jouant les comptables, 2h pour faire 6,5 km franchement… mais bon, j’étais pas en état]
A ce moment là, j’avais déjà abandonné. Mentalement, c’était fait. Tout ce que je voulais, c’était rejoindre Teror pour rendre mon dossard et tenter de comprendre ce qui était en train de m’arriver. Peut-être, si je m’étais sur-habillé dès que j’avais vomi, si j’avais encore avalé une bouchée ou si j’avais pu rallier mon mental qui me hurlait que j’étais nul, qu’il fallait partir, loin et se cacher sous une pierre pour le restant de ma vie tellement ça n’allait plus, alors peut-être, oui, que j’aurais pu rallier Teror dans les temps. Que sur place, j’aurais trouvé les ressources pour aller jusqu’à la première base de vie de Fontanales et retrouver mon sac. Et tenter pour la 250è fois de recourir sur le chemin, tout en parcourant 100 bornes.
Mais là au 25è kilomètre, j’ai vu une ambulance à côté d’un véhicule d’un volontaire de l’orga. Je me suis planté devant, j’ai hésité 30 secondes et laché un gros “meeeEEERDEEE” en tapant du pied parce que je savais ce que je faisais. Parce que suivre ces frontales ça aurait été de l’inconscience dans l’état ou j’étais. Et j’ai rendu le dossard. 3 minutes plus tard, je tremblais de nouveau des pieds à la tête. Idem dans la voiture qui m’a emmené à Teror. Idem pendant 1h, allongé en attendant le bus, ça ne s’est arrêté que plus tard. A 6h30 en rentrant dans le bus pour rejoindre l’arrivée, la crise était passée. J’étais un peu fatigué mais j’allais bien. J’aurais ptet même pu courir. C’était trop tard, et c’était terminé.
C’était ma TransGranCanaria et ça s’est mal passé. Croyez moi, je vais vraiment essayer de faire mieux au prochain dossard !